En France la notion de crise agricole est depuis plus d’un siècle un leitmotiv pour désigner aussi bien le déclin démographique du monde agricole que des chutes ou des insuffisances de revenu, des dysfonctionnements de marché, ou encore les injustices du marché foncier. Mais ces constats ne suffisent plus à caractériser la phase dans laquelle se trouvent aujourd’hui les agriculteurs, que nous proposons de nommer « tempête ». Cette communication est fondée sur les données sociologiques issues des travaux du GERDAL (Groupe d’Expérimentation et de Recherche : développement et actions localisées), lesquels combinent des interventions d’appui à des dispositifs de développement local et des enquêtes auprès des agriculteurs et des acteurs impliqués dans ces dispositifs.
Les problèmes exprimés par les agriculteurs dans ce cadre traduisent leur difficulté à se situer, face à des injonctions politiques, économiques et sociétales discordantes suivant les différentes échelles de territoires politiques et marchands sur lesquels elles se déclinent, et qu’ils subissent douloureusement. Mais ces difficultés n’opèrent pas de manière homogène. Si la différenciation au sein du monde agricole n’est pas nouvelle, une dynamique nouvelle a émergé : celle de mondes agricoles développant plus ou moins parallèlement des modèles professionnels qui se distancient de plus en plus, au regard des modes de production et des conceptions du métier qui les portent. Et ces différences de modes de conduite de leurs activités sont corrélées à des positions contrastées des agriculteurs dans la société (au regard de leurs réseaux de relations et de la façon dont ils sont « valorisés ») comme au sein de la profession agricole et dans l’univers industriel agroalimentaire, les unes se construisant souvent plus ou moins au dépend des autres.
Pour comprendre comment ces processus de différenciation opèrent du point de vue des agriculteurs et dans les contextes spécifiques de territoires et de filières précis, nous nous attachons à analyser les dynamiques socioprofessionnelles agricoles localisées. A partir d’études de cas dans des contextes très divers (péri urbains ou ruraux, bassin de production tournée vers la consommation de masse ou zone de « petite production » diversifiée, etc.), nous montrons la diversité et la complexité des processus d’évolution et de reconfiguration des réseaux de dialogue et de liens professionnels à l’œuvre.